Auteur : Albert-Robert Ezdra
Remarquablement drôle. C'est le premier adjectif qui vient à l'esprit quand on referme - à regret - le livre d’Albert Robert Ezdra. On le dévore avec gourmandise : on se délecte à chaque page, on s’étrangle de rire ... (Et comme il en compte plus de trois cents, vous avez de quoi vous "escaner" mille fois ! ). Des histoires qui se succèdent avec une fluidité réjouissante, déployant des trésors de comédies. Et que de rencontres ! À sauts et gambades, on est propulsé dans tous les milieux parmi une foison de personnages hauts en couleur, loufoques, désopilants, odieux, attachants, décalés, ubuesques.
À commencer - tenez-vous bien - par Dieu le Père en personne, notre bon Dieu qui, sans le divan salvateur, eût bien pu sombrer dans la noire déprime (il est en analyse depuis dix mille ans) Notre bon Dieu donc, pour se distraire du morne ennui qui plombe ses contrées paradisiaques, décide de faire… devinez quoi … un poisson d’avril aux humains – ben quoi, il faut bien rigoler un peu, surtout quand on est entouré de gens si peu rigolos que Saint Pierre !
On y rencontre ensuite une drôle de paire : des jumelles prénommées Intolérance et Bêtise qui finiront … canonisées, un savant farfelu, une baronne qui, la pauvre, veut enfourcher Pégase (puisqu’elle n’a rien dire, cela va sans dire), une drôle de « Jeanne Calment » sexy : lassée d’une vie vouée à Eros, elle voudrait enfin rejoindre Thanatos (mais l'euthanasie est interdite, alors comment faire ? ) Un pauvre bougre poursuivi par la poisse, une rouée catin qui garde en réserve un bon petit « plat qui se mange froid », un conseil municipal et quel conseil (désopilant !!), un concours à l'échelle planétaire où cinq femmes … chut, je ne veux pas casser le suspense, un certain Monsieur Dupont insatisfait de son nom (propre et pourtant si commun !) … et j’en passe.
Des humains mais aussi des animaux, Ulysse qui ne veut plus faire son métier de chat, Wolf, le chien-loup insoumis (ah combien il m’a plu, ce gentil toutou !), une assemblée d’animaux, superbe «remake » du congrès des animaux pestiférés, jadis relaté par un certain chroniqueur, Jean de la Fontaine que notre auteur revisite avec brio … Il y a même un robot, un robot efficace et sexy à souhait, mais qui finalement, au grand dam de l’heureux propriétaire – l’histoire n’est pas neuve –, se muera en golem !
Vous l’aurez compris, ce livre est un florilège d’histoires croustillantes, rocambolesques écrites dans un style remarquable : une écriture gorgée de savoureuses ruptures de style, qui se tend, s’enfle, se travaille, gonfle, ronfle, se dégonfle pour se rompre sur une de ces petites phrases lapidaires, faussement naïves, mais meurtrières parce qu’elles vous tuent un homme. Un exemple entre mille :

« Acheter son rival ? Le faire chanter ? Impossible, il faisait partie de cette catégorie d’hommes en voie d’extinction qui ne prête le flanc à aucune critique et ne se laissent pas corrompre. Pas avant d’être en poste. »

Car l’humour picaresque d’Albert Robert Ezdra. n’est pas gratuit : Albert-Robert Ezdra est un humoriste certes – et quel humoriste ! - , mais la légèreté de ses nouvelles n’est qu’apparente : avec ses intrigues déjantées, hilarantes, décalées, ses petites réflexions anodines, désopilantes, ses dissonances provocatrices, il nous livre une satire burlesque qui – à l’instar des pièces du grand Molière – titille, épingle les travers de ses contemporains, ces hommes « étrangement faits » qui trop souvent, hélas, perdent la juste mesure…
Derrière ce faux Candide se cache aussi un humaniste impitoyable. Incisive et percutante, sa plume grince, pique, écorche, se mue en pamphlet cynique et virulent quand elle dénonce non plus les petits travers, mais les sales types ( machos, racistes, nantis), ceux qui menacent notre humanité. L’humour s’aiguise en ironie cinglante impitoyable. De l’humeur primesautière, badine, il ne reste alors plus que la badine qui fouette, cingle et fustige.
En un mot : pour L’HOMME DANS TOUS SES ÉTATS, Albert-Robert Ezdra mérite la palme de la drôlerie, mais aussi celle du cœur.

Chronique d'Edmonde Vergnes-Permingeat.

 




 



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